Brèves d’infos est un journal éphémère créé spécialement pour le ChallengeAZ 2024. Il paraît tous les jours du mois de novembre 2024 sauf le dimanche. L’édito journalier porte sur un drame, un instant de gloire, un choix de vie ou un acte héroïque. Les protagonistes de ces moments sont la plupart du temps des cousin(e)s plus ou moins éloigné(e)s ou leurs conjoints. 26 numéros de Brèves d’infos qui mettent en avant des faits dans la vie de ces individus et qui passent inaperçus à la lecture seule des actes d’état-civil les concernant.
Il y a certaines lettres du ChallengeAZ dont le titre de l’article s’impose tout naturellement. C’est le cas pour la lettre S qui fait référence au roman de Jack Kerouac, publié en 1957 avec pour titre original «On the road». C’est une œuvre quasi-biographique qui relate les aventures de 2 compagnons à travers leurs pérégrinations sur les routes des États-Unis entre 1947 et 1950. Elise Jeanne Marie Lego, l’épouse d’un collatéral, a connu une vie d’errance et de mendicité dans les années 1920-1930. Toutefois, à la différence de Jack, elle avait une façon toute particulière de manifester son mécontentement quand l’aumône reçue ne la satisfaisait pas!

Elise Jeanne Marie Lego voit le jour en juillet 1895 à Vay, petite commune de Loire-Atlantique située à 40 kilomètres au nord de Nantes. 25 ans plus tard, on la retrouve à peine loin, à Fay-de-Bretagne plus exactement, où elle est désignée comme associée de Jean Maillard, un journalier de la commune. Cette «association» va se concrétiser par un mariage, puisque les 2 partenaires convolent en juste noce en avril 1921. Le mari d’Elise, Jean Marie Maillard, est veuf depuis 3 ans et comme on pourra le voir à la lettre X a connu, 20 ans plus tôt, de très légers démêlés avec la justice. Le bonheur pour le couple, en espérant que c’était le cas, est de courte durée car Jean ne trouve rien de mieux à faire que de mourir le 2 août 1922. Toutefois, à sa décharge, il n’était pas tout jeune et avait 30 ans de plus qu’Elise, mais c’est ce décès qui va changer de façon irrémédiable le mode de vie de la jeune veuve.

Jean est à peine froid qu’Elise s’acoquine avec un habitant de la commune, Jean Marie Hervé, né à Redon et ayant sensiblement le même âge que son défunt mari. Ce nouveau compagnon est loin d’être un saint et collectionne déjà un certains nombre de séjours en prison pour vols. En décembre 1923, Elise donne naissance à une petite fille, Odette, que Jean, qui est dit carrier, reconnaît. C’est probablement, peu après ce joyeux événement que le couple va entamer une période de vagabondage qui sera rythmée pour Elise par des arrestations régulières. Odette est âgée d’à peine quelques mois quand ses parents passent au tribunal correctionnel de Saint-Nazaire pour vagabondage, mendicité et défaut de carnet anthropométrique.

Vagabondage et mendicité, pas de problèmes pour comprendre de quoi il s’agit. Mais «défaut de carnet anthropométrique» de quoi parle-t-on exactement? L’anthropométrie est une technique d’identification des personnes mise au point à la fin du XIXe siècle qui s’appuie sur une série de mesures du corps humain ainsi que sur le relevé de marques physiques particulières. Elle va peu à peu servir à l’identification et à la catégorisation de groupes d’individus pouvant être considérés comme dangereux. Les populations dites « nomades » entrent dans ce cas, et la loi du 16 juillet 1912 permet la mise en place du carnet anthropométrique Ce carnet contient des informations très précises sur son propriétaire, tels que : nom, photo de face et de profil, empreintes digitales, mesure du corps, de la tête et de l’iris, état civil, profession… Il sert également à la surveillance des individus car les «nomades» doivent le faire viser lors de leurs passages dans une commune. Etant donné qu’Elise est une vagabonde, sans domicile fixe, elle tombe sur le coup de l’article 3 de la loi du 16 juillet 1912 et est considérée comme «nomade» et doit donc posséder un carnet anthropométrique.

En octobre 1925, Elise et Jean sont une énième fois arrêtés, cette fois ci à Tréffieux, et condamnés à la prison pour les mêmes motifs par le tribunal correctionnel de Chateaubriant. Il n’est plus question d’Odette dans les différents entrefilets correspondants aux condamnations du couple, ce qui peut faire penser qu’au vu de leur situation, ils en ont perdu la garde. Un an plus tard, changement de lieu pour Elise. Elle se trouve en Ille-et-Vilaine et met au monde un petit Léon, fils de Valentin Dagoneau, ramoneur de son état, mais aussi sdf. Valentin est né à Vasles, Deux-Sèvres, en 1886 et est un enfant de l’assistance publique. On peut dire qu’Elise choisit bien ses compagnons parce que celui-ci a un casier judiciaire long comme le bras comme en témoigne sa fiche matricule. Je ne sais pas combien de temps Elise vagabonde avec Valentin, mais il se passe 4 ans avant de la retrouver du côté de Saint-Brieux où elle va faire son coup d’éclat.

Depuis quelques années, Elise parcourt les routes des Côtes-du-Nord (maintenant les Côtes-d’Armor) et vit de son activité principale qui est la mendicité. Vers le 25 juin 1930, elle se est aux environs de la commune de Meslin qui se situe à une vingtaine de kilomètres de Saint-Brieux. C’est au lieu-dit la Ville Auvray, à la ferme de Jean Chapelain qu’elle se présente pour demander quelques pièces de monnaie ou de quoi manger. Le fermier ayant un bon cœur, lui fait l’aumône, mais visiblement celle-ci n’est pas à la hauteur de ce qu’elle attendait. Elle rumine, revient en catimini pendant la nuit, installe un tas de bois contre l’habitation des Chapelain, sort son zippo et y met le feu. Ce ne sont pas des oies, comme lors l’attaque du Capitole, mais les chiens des fermiers qui donnent l’alerte en usant de leurs vocalises si reconnaissables. L’incendie est vite maîtrisé et l’apprentie pyromane est aussi vite attrapée par les propriétaires qui l’enferment dans une grange avant que la maréchaussée ne la conduise dans une cellule de la prison de Saint-Brieuc.
Par la suite, je ne sais pas à combien de temps elle a été condamnée pour son mouvement d’humeur mais ce qui est sûr, c’est que dès 1931 on la retrouve de nouveau sur les routes de l’Ouest de la France, où elle est régulièrement appréhendée pour les raisons habituelles : vagabondage, mendicité et défaut de carnet de vaccination et/ou anthropométrique.

On peut reconnaître qu’Elise n’a pas les 2 pieds dans le même sabot au vu des distances parcourues entre chaque arrestation. Lors de celle de septembre 1935, à Pluvigner dans le Morbihan, et qui lui vaut 2 mois de prison, l’entrefilet paru dans «Le Populaire de Nantes», précise «Cette villégiature constituera une halte salutaire au cours de sa vie errante». Effectivement, on peut penser que c’était peut-être un moyen pour Elise de se mettre au vert quelques temps avant de reprendre le route. Après cet ixième séjour avec gite et couverts , je perds sa trace. A ce jour je n’ai aucune idée de ce qu’elle est devenue. L’acte de mariage de sa fille Odette, en 1962 à Campbon, indique simplement que le domicile d’Elise est inconnu.
Sources & Créditsn
Archives départementales de la Loire-Atlantique – Recensement Fay-de-Bretagne 1921
Archives départementales de la Loire Atlantique – L’Echo de la Loire du 18 juillet 1924
Gallica – L’Ouest-Eclair du 25 juillet 1924
Musée national de l’histoire de l’immigration – Le carnet anthropométrique d’identité « nomades »
CriminoCorpus.org – Le carnet anthropométrique des « nomades » (1912)
CriminoCorpus.org – Loi du 16 juillet 1912 et décret du 16 février 1913 sur l’exercice des professions ambulantes et la circulation des nomades complétés par les circulaires du Ministre de l’Intérieur des 3 et 22 octobre 1913
Gallica – Le Petit Méridional du 28 juin 1930
Archives départementales des Côtes-d’Armor – La Bretagne à Paris du 5 juillet 1930
Archives départementales de la Loire-Atlantique – Le Populaire de Nantes du 10 octobre 1935

Intéressants ces carnets je ne connaissais pas. Peut-être une source supplémentaire à étudier !
Idem, je les ai découverts à cette occasion. Le tout est d’avoir des nomades dans sa généalogie 😅
Tu collectionnes les personnages attachants à ce que je vois 🤣
Effectivement on découvre des tranches de vie quand on cherche un peu plus que les NMD 😊