Brèves d’infos est un journal éphémère créé spécialement pour le ChallengeAZ 2024. Il paraît tous les jours du mois de novembre 2024 sauf le dimanche. L’édito journalier porte sur un drame, un instant de gloire, un choix de vie ou un acte héroïque. Les protagonistes de ces moments sont la plupart du temps des cousin(e)s plus ou moins éloigné(e)s ou leurs conjoints. 26 numéros de Brèves d’infos qui mettent en avant des faits dans la vie de ces individus et qui passent inaperçus à la lecture seule des actes d’état-civil les concernant.
Dans «recherches généalogiques», il y a le mot recherches, qui prend encore plus son sens quand il s’agit trouver des informations sur des ancêtres ou des collatéraux dont on ne sait pas ce qu’il sont devenus. Ils sont nés, quelquefois se sont mariés et ont eu (ou pas) des enfants, puis d’un coup se sont volatilisés. Un peu comme s’ils n’avaient jamais existé. Comme vous tous, je suppose, j’en ai un certain nombre de mon arbre. Avec la multiplication des indexations et aussi beaucoup de patience, il arrive que certains réapparaissent comme par magie. Jean Chabrillac, l’époux d’une de mes arrière-arrière-grand-mère fait partie de ces volatilisés, toutefois il est brièvement réapparu.
Jean Chabrillac est le mari du sosa 41 de mes enfants, Marguerite Baduel. Cette dernière, à un moment de sa vie, s’est mis à la colle avec le sosa 40 (toujours de mes enfants), Petrus De Bruyn, qui lui aussi était marié. C’est un peu la version courte que je vous fais là et dit de cette façon, cela ressemble à un vaudeville. J’avais déjà brièvement évoqué la relation entre Petrus et Marguerite dans «F comme le F des fossés de Saint-Maur – Pierre De Bruyn (1828-1892)» pour le ChallengeAZ 2023. Mais revenons, plutôt à nos moutons, ou plus exactement à Jean, puisque c’est à lui que l’article est consacré.
Jean est en né en 1824 dans le 2e arrondissement de Paris, d’Antoine Chabrillac, portier, et de Marie Mercou (ou Mercon selon). Ses parents se sont mariés 4 ans plus tôt en l’église de Saint-Germain-l’Auxerois et son père est un expatrié puisqu’il est originaire du Cantal, et plus précisément de Chaudes-Aigues. C’est bien connu, tous les provinciaux qui montaient à Paris se regroupaient dans les mêmes quartiers et les Auvergnats n’ont pas dérogé à la règle. C’est ainsi que Jean fait la connaissance de Margurite Baduel, une cantalienne pure souche qui habite à 2 pas de chez lui, elle, rue du Petit Lion et Jean, rue Française dans le 2e. C’est bien évidement qu’ils se marient à l’église de leur quartier, Saint-Eustache, le 28 avril 1858.

Entre 1859 et 1869, Jean, qui est garçon de magasin, et Marguerite vont accueillir 3 enfants qui malheureusement vivront moins de 2 ans. Le couple habite toujours dans la capitale mais s’est fixé un peu plus loin, dans le 4e, rue de la Verrerie, située à quelques pas de l’Hôtel de Ville. Le 12 janvier 1871, Jean et Marguerite sont au Père-Lachaise où ils mettent en terre la petite Marie et c’est à partir de cette date qu’intervient le tour de prestidigitation et que Jean se volatilise. En effet, en 1874, je retrouve Marguerite, en banlieue parisienne, à Saint-Maur-des-fossés, où elle donne naissance à Emile De Bruyn, un de mes arrières-grands-pères maternels (cf. «Souvenirs, souvenir» entre autres). Où donc était passé Jean? Au début de mes recherches, fin des années 90, j’avais questionné ma grand-mère sur sa famille et celle de mon grand-père. Elle se souvenait alors avoir entendu dire que le mari «officiel» de la mère de son beau-père, Jean Chabrillac donc, avait disparu pendant la Commune. Ah oui, rien que cela, la Commune de Paris dont le bilan humain fait controverse sur le nombre de morts et de disparus. Un peu comme le nombre de participants à une manifestation selon les syndicats et le forces de police, certains avancent 20 000 à 30 000 victimes, tandis que d’autres estiment que 10 000 serait un nombre plus plausible.

Disparu pendant la Commune! L’information était alléchante, si j’ose dire, mais relativement difficile à vérifier. J’ai donc gardé celle-ci dans un coin de ma mémoire avec l’espoir qu’un jour je trouverai de quoi l’étayer. Vous le savez autant que moi, la généalogie est une aussi une histoire de patience et quelquefois tout vient à point à qui sait attendre! Juste une vingtaine d’années avant que je tombe lors de recherches sur Gallica sur la notification d’un jugement préparatoire dans le cadre d’une absence civile. Celle-ci est parue dans le Journal Officiel du 24 août 1879 probablement à la suite d’une demande de Marguerite Baduel.
Selon un jugement du 1er juillet de la même année, une enquête devait être diligentée pour constater l’absence de Jean, qui avait disparu de son domicile en mai 1871. Yes!!! La réalité rejoignait enfin les souvenirs de de ma grand-mère. En effet, il y a ici la disparition et, même si il n’y a pas de jours précis d’indiqué, une date qui correspond pile poil à une moment majeur de la Commune de Paris. N’étant pas historien, je ne vais pas vous faire un cours sur la Commune, mais pour faire très simple, la Commune de Paris est le nom donné au mouvement révolutionnaire et au gouvernement insurrectionnel mis en place dans la capitale au printemps 1871, après la capitulation du gouvernement face aux Prussiens. L’insurrection parisienne débutera le 18 mars et sera réprimée par un bain de sang lors de la «Semaine sanglante» du 21 au 28 mai. C’est durant cette fameuse semaine que se produit l’évènement qui concerne les recherches généalogiques sur Paris : l’incendie de l’Hôtel de Ville, le 24 mai. Pendant les 72 jours qu’à durer le mouvement, de nombreuses barricades ont été montées dans les rues de Paris et des affrontements ont lieu entre « les communards» et «les versaillais», troupes du gouvernement qui s’est établit à Versailles au début de l’insurrection.

Extrait Plan de du plan Paris avec indication exacte des Maisons et Monuments incendiées et des barricades construites en Mai 1871- Gallica
A partir de maintenant, plusieurs hypothèses peuvent être envisagées sur ce qui s’est passé pour Jean en mai 1871. La première est que Jean dise à Marguerite un soir, qu’il sort pour acheter un paquet de tabac, une bouteille de vin ou de quoi faire une bonne potée auvergnate et qu’il prenne ses cliques et ses claques pour recommencer une nouvelle vie ailleurs. La deuxième : Jean est un communard. Comme indiqué sur le plan ci-dessus, on trouve un certain nombre de barricade aux alentours de la rue de la Verrerie où il réside. Il participe alors aux affrontements qui se déroulent dans son quartier et, soit est tué pendant ceux-ci, ou alors fait prisonnier et exécuté sans autre forme de procès. Dans les 2 cas, son corps est au milieu d’autres victimes, n’est pas identifiable et finit probablement dans une fosse commune. La troisième, enfin, il se trouve au mauvais endroit au mauvais moment et fait partie de ces gens qui ont subit la vindicte des versaillais pendant cette funeste semaine. Ce qui à mon sens n’est pas réellement différent de la deuxième hypothèse. Difficile de faire un choix! Il n’y a plus qu’à espérer que les enquêteurs mandatés soient aussi balaises que Lilly Rush et son équipe dans la série «Cold case». En effet, ces derniers sont capables de régler en deux temps trois mouvements une affaire non résolue depuis 50 ans en interrogeant des témoins tout moisis qui se souviennent à la seconde près de ce qu’ils ont fait ou vu il y a un demi siècle. Dans notre cas, seulement 8 ans se sont écoulés. Il n’y a donc plus qu’a croiser les doigts.
On peut croire aux miracles, mais il faut aussi rester lucide et qu’il y a de grandes chances qu’aucune de mes hypothèses ne soit confirmée. En effet, 1 an plus tard, le 1er octobre 1880, le tribunal déclare tout simplement l’absence de Jean et le fait qu’il a disparu depuis le mois de mai 1871. Je pense que Marguerite en était déjà consciente et de notre côté on n’est pas beaucoup plus avancé, si ce n’est que Jean est officiellement déclaré disparu.. Peut-être existe-t-il un dossier contenant tous les éléments de l’enquête mais là, sur le coup je ne sais pas du tout où il faut chercher, pour peu qu’il y ait quelque chose à trouver. Je suis bien évidemment ouvert à toutes les suggestions, autant sur les causes de la démarche de Marguerite que sur l’éventualité de l’existence d’un rapport d’enquête.
Sources & Crédits
Gallica – Plan de Paris en 1860 divisé en 20 arrondissements
Archives de Paris – Acte de mariage reconstitué 5Mi1 2311 Vue 41/51
Gallica – L’Illustration du 10 juin 1871
Wikimédia – Communards dans leurs cercueils, photographie prise par André-Adolphe-Eugène Disdéri en mai 1871
Wikipédia – Commune de Paris
Legifrance – Journal Officiel de la République Française N° 231 du 24 août 1879
Les amies et amis de la Commune – Les barricades de le Commune
Gallica – Plan de Paris avec indication exacte des Maisons et Monuments incendiées [sic], des Batteries et Barricades construites en Mai 1871 et numérotage des Bastions de l’Enceinte 1871
Legifrance – Journal Officiel de la République Française N° 323 du 25 août 1880




Les témoins tout moisis de Lilly Rush… J’adore 🤣
Quant à ce qui se trouve dans le dossier s’il existe… Potentiellement pas grand chose, ou en tout cas pas la clé de l’énigme. Je m’attends à une collection de témoignages de personnes qui connaissaient le couple et/ ou l’épouse, attestant de l’absence, dans le seul but d’officialiser la situation et permettre à Marguerite de tourner la page… Mais bon, ça se tente quand même, on ne sait jamais !
Oui je ne m’attends pas à grand chose mais comme tu dis, on ne sait jamais 🤔
Peut-être à Pierrefitte ? À vérifier. C’est toujours intéressant de consulter un dossier même si les dépositions sont moisies 😁
Il va falloir que je décide un jour à y aller moisi où pas 🤣
J’ai aussi des « évaporés », mais ils ne réapparaissent jamais… Au moins, tu peux faire le lien entre sa disparition et les événements de l’époque, c’est déjà un pas. Je ne crois pas une seconde qu’il ait refait sa vie ailleurs, je penche plutôt pour la fosse commune, hélas…
Effectivement c’est l’explication la plus probable 😒 pas top d’être parisien en mai 1871…