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Tickets pour la prison

Brèves d’infos est un journal éphémère créé spécialement pour le ChallengeAZ 2024. Il paraît tous les jours du mois de novembre 2024 sauf le dimanche. L’édito journalier porte sur un drame, un instant de gloire, un choix de vie ou un acte héroïque. Les protagonistes de ces moments sont la plupart du temps des cousin(e)s plus ou moins éloigné(e)s ou leurs conjoints. 26 numéros de Brèves d’infos qui mettent en avant des faits dans la vie de ces individus et qui passent inaperçus à la lecture seule des actes d’état-civil les concernant.


Bien mal acquis ne profite jamais! Ce proverbe ne mérite pas vraiment d’explications tant sa formulation est explicite. Je suis loin d’être persuadé que cela se vérifie à chaque fois, néanmoins je suis pratiquement sûr qu’André Marcel Perotin, second époux de Valentine Valton (la faiseuse d’anges de «Divination en carafe»), en a saisi toute la signification lors de son procès pour vol et revente de tickets de rationnement en mai 1943.

Biographie express d’André Pérotin et arbre de parenté avec mes enfants – Recherches personnelles

Avant de basculer du côté obscur, André avait une vie que l’on peut qualifier de classique pour l’époque. Il naît au début de l’année 1915 à Châlons-sur-Marne et est très vite orphelin de père car ce dernier est tué en juillet 1918 lors de combats à Courmelles dans l’Aisne. Sa mère Marie Rose Colin monte à Paris où on la retrouve au 11 chemin Latéral 14e, dans le quartier du Petit Montrouge en 1926. La famille s’est agrandie avec Robert alors âgé d’un an. André est recensé en 1935 au 3e bureau avec pour numéro matricule 1405, mais n’ayant pas été voir sa fiche, je ne peux rien dire sur son passage dans l’armée. La même année, il épouse à Cachan Andrée Férone, âgée de 19 ans. Ont-ils eu des enfants? Je ne sais pas et pour être tout à fait honnête, je n’ai pas réellement cherché. Comme je vous le disais, rien que du très banal dans la vie d’André, jusqu’à ce, Michel Keverlet (ou Kervelet), un membre de sa famille s’en mêle…

Arbre de parenté entre André Perotin et Michel Keverlet – Recherches personnelles

Marie Rose Colin, la mère d’André, a une sœur aînée prénommée Marie Yvonne. Cette dernière, de son mariage avec René Adeline, a une fille Odette, née un an après son cousin germain. Ladite Odette, se marie en 1937 avec Michel Keverlet, facteur de son état, ce qui fait d’André et Michel des cousins germains par alliance. Rien de bien compliqué en somme pour tout généalogiste amateur (ou non). Petit rappel historique pour appréhender le contexte. En prévision de la guerre qui ne va pas tarder à arriver, un ministère du Ravitaillement est créé en 1939. L’hiver 1940 ayant été particulièrement rude, un décret au mois de mars de la même année prévoit la mise en place de carte de rationnement afin d’encadrer le ravitaillement dans le pays. Quelques semaines plus tard, c’est la débâcle, la signature de l’armistice et les cartes ne sont pas distribuées. Toutefois, ce n’est que partie remise, puisque le 23 septembre 1940, les cartes sont instituées par le gouvernement de Vichy. Ces cartes, qui peuvent être vues comme les ancêtres des régimes hypocaloriques, imposaient pour leurs possesseurs un rationnement strict basé sur différents critères comme l’âge, le sexe, le lieu de résidence… Ces cartes sont expédiées par les préfecture aux différentes mairies de leurs territoires pour qu’elles en effectuent la distribution. Bien évidement tout cela se fait par la poste et je pense que vous avez une petite idée de qui va entrer en scène.

Tickets de rationnement pour le pain et le sucre – Wikipédia

En 1942, Michel travaille comme facteur auxiliaire à Chalons-sur-Marne et bien évidemment il voit transiter les sacs postaux contenant les feuilles de tickets de rationnement à destination des mairies alentours. Nous sommes en pleine occupation allemande depuis 2 ans et la situation des Français n’est pas vraiment ce qu’il y a de mieux. Michel a dû se dire que prendre quelques titres et les revendre était un moyen de mettre un peu de beurre dans les épinards. Enfin, quand je dis quelques titres, je suis loin du compte, car notre facteur s’est servi allégrement en délestant les sacs de plus de 30 000 feuilles de tickets entre août et septembre 1942. Michel et sa femme ont alors vendu leur butin et à raison de 90 à 120 francs la feuille, selon le type d’aliment, et se sont fait un petit pactole de 80 000 francs, ce qui ferait selon le convertisseur franc-euro de l’INSEE près de 2 700 000 euros! Seulement voilà, l’appât du gain fait généralement perdre le sens de la réalités. Michel ne s’est visiblement pas dit, qu’en dérobant une telle quantité de titres, cela allait être un manque pour certaines mairies. En effet, ces dernières constatant qu’elles n’avaient pas reçu leurs feuilles de tickets pour le mois d’octobre ont prévenu les autorités. En moins de temps qu’il faut pour le dire, Michel et sa femme Odette ont été arrêtés le 1ier octobre 1942 et finalement n’ont pas pu vraiment profiter de leur magot.

Le Petit Haut-Marnais du 5 octobre 1942 – Gallica

Maintenant de quelle manière André s’est retrouvé partie prenante de cette histoire. Tout simplement par l’entremise d’Odette, sa cousine germaine, qui avait l’esprit de famille. Celle-ci s’est dit qu’elle allait en faire profiter sa tantine Marie Rose, qui vivait à l’époque à Fontenay-sous-Bois, et lui a fait alors parvenir 1/5e du vol de son mari, soit près de 6 000 feuilles. Ni une, ni deux Marie a mis son fils André dans la confidence, histoire de se partager le travail pour revendre les tickets. Le vie en région parisienne étant un peu plus chère qu’en province, les prix de vente des feuilles s’étalaient entre 100 et 125 francs. Je ne sais pas combien la mère et le fils ont engrangé de sous pour ce trafic, mais sans grande surprise, ils ont subit le même sort que Michel et Odette en étant arrêtes le 28 septembre 1942 Le reste de la famille a suivi, Andrée la femme d’André et Robert son petit frère. Tout comme sa future femme, Valentine Valton, André et tous les autres ont été jugés par la tribunal d’Etat le 10 mai 1943 et pour la plupart reconnus coupables. Michel a été condamné au travaux forcés à perpétuité, Odette en a pris pour 5 ans, Marie Rose pour 10 ans et André, entre les deux, a écopé de 7 ans. Les juges ont estimé que la femme d’André n’avait visiblement pas trempé dans la combine et de ce fait a été acquittée. Idem pour Robert, le petit frère d’André, mais qui du fait de son âge, a été confié au Patronage des enfants moralement abandonnés de Lille.

Le Petit Troyen du 12 mai 1943 – Gallica

Marie Rose et Odette ont été incarcérées à la maison centrales de Rennes et c’est probablement à cet endroit qu’elles ont fait la connaissance de Valentine Valton qui y était détenue depuis quelques semaines. A la fin de la guerre, après leurs amnisties, elles ont dû rester en contact et c’est ainsi qu’André a fait la connaissance de Valentine, une des consœurs de sa mère de prison. Entretemps, celui-ci était devenu veuf, Andrée Férone son épouse, étant décédée quelques mois après son incarcération en octobre 1943 à l’hôpital Saint-Antoine. Michel, de son côté, a eu nettement moins de chance que les autres prévenus et on peut dire que dans son cas le proverbe cité au début de l’article a pris tout son sens. Détenu à la prison de Mantes, il y périt avec 209 autres compagnons de chaîne, lors du bombardement du 30 mai 1944, qui détruisit tout le bâtiment. Il se trouve dans la base des victimes civiles de la Seconde Guerre mondiale du site Mémoire des hommes.


Sources & Crédits
Revue Histoire – Le rationnement en France entre 1939 et 1949
Wikipédia – Ticket de rationnement
INSEE – Convertisseur Franc-Euro
Gallica – Le Petit Haut-Marnais du 5 octobre 1942
Gallica – Le Petit Troyen du 12 mai 1943
Archives Nationales – Tribunal d’État. Section de Paris. Fichier alphabétique des inculpés. Dossier 4. Audience du 10 mai 1943 Côte 4W/12
Mémoire des hommes – Keverlet Michel Auguste
Histoire du Mantois – LA prison de Mantes
Archives départementales des Yvelines – Etablissements pénitentiaires yvelinois

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