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Brèves d’infos est un journal éphémère créé spécialement pour le ChallengeAZ 2024. Il paraît tous les jours du mois de novembre 2024 sauf le dimanche. L’édito journalier porte sur un drame, un instant de gloire, un choix de vie ou un acte héroïque. Les protagonistes de ces moments sont la plupart du temps des cousin(e)s plus ou moins éloigné(e)s ou leurs conjoints. 26 numéros de Brèves d’infos qui mettent en avant des faits dans la vie de ces individus et qui passent inaperçus à la lecture seule des actes d’état-civil les concernant.


Quelquefois l’actualité semble faire écho à des faits divers du passé. En effet, il y a quelques jours, est tombé le verdict d’un procès qui a été énormément médiatisé. Mais qu’est-ce qui ne l’est pas de nos jours? Il ne s’agit pas de celui d’un ex-président qui dorénavant se refait une santé mais de celui d’un homme, à l’origine lambda, dont la femme a mystérieusement disparu il y a près de 5 ans. Je pense que vous avez tous la référence et savez donc de quoi cet homme était accusé. L’affaire de François Saligot, un lointain collatéral, peut ressembler à celle que je viens d’évoquer. Toutefois, à une très légère différence près, le corps de l’épouse de François a été retrouvé enseveli à quelques mètres de leur habitation.

Bio express de François Saligot et arbre de parenté avec mes enfants – Recherches personnelles

François est né le 28 octobre 1845 à Mignerette, petite commune du Loiret située à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Montargis. Il est le deuxième enfant de Mathurin et Rosalie Collumeau et sera le seul garçon sur une adelphie de 5 enfants. On le retrouve dans le recensement de 1861 de la commune avec toute sa famille, où tout comme son père, il travaille dans les vignes. 5 ans plus tard, dans ceux de 1866, on ne le voit pas au sein du foyer familial car il fait probablement son devoir de citoyen et doit se trouver sous les drapeaux et crapahuter quelque part. François a 30 ans, quand il décide de franchir le pas du mariage. Le 14 décembre 1875, il dit oui à Léonie Amélie Delafoy, une jeune couturière de 24 ans. L’union a lieu à Saint-Pierre-les-Nemours, en Seine-et-Marne, où la jeune femme réside. De son côté, François habite Larchant, une des communes voisines et exerce le métier de charretier.

Extrait de la table décennale 1873-1882 de Saint-Pierre-les-Nemours – Archives départementales de la Seine-et-Marne

Par la suite, le couple va s’installer à Nemours où ils vont louer une maison au 10 rue de la Héronnerie, située a proximité du Loing qui traverse la ville. En apparence jusque-là, rien à redire si ce n’est qu’en 1881, Léonie n’apparaît pas dans le recensement cette année. Il y a seulement François ainsi qu’un dénommé Eugène Prévost, âgé de 19 ans et qui a la fonction de domestique

Extrait du recensement de 1881 à Nemours – Archives départementales de la Seine-et-Marne

Lors de recherches dans les recensements, il arrive qu’un des membre de la famille soit absent, pour tout un tas de raisons, sans qu’il y ait matière à s’inquiéter. Toutefois, on va voir que ce n’est malheureusement pas le cas ici. Quand on me parle mariage, mon côté fleur bleue ressort automatiquement. Je pense alors à l’amour qu’il y en entre 2 personnes et que celui-ci va durer éternellement. Une vision très idyllique, vous en conviendrez. Mais bon, je sais aussi que nous ne vivons pas dans un monde de bisounours et probablement encore moins au XIXe siècle (quoique…). En effet, on va vite se rendre compte que François Saligot, qui sur le coup porte bien son nom, est loin d’être le gentil mari aimant et attentionné que l’on peut attendre.

Le Journal de Seine-et-Marne & la Petite Presse du 9 juillet 1882 – Gallica

«Bats ta femme tous les matins, si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait», un proverbe arabe que François suit pratiquement au mot près. Il s’emploie àl’appliquer régulièrement quelque soit l’heure de la journée dès le début de leur union. Visiblement, le voisinage connaît le caractère de l’individu et son comportement envers Léonie Tout le monde croit François quand il annonce que sa femme a abandonné le domicile conjugal avec un ouvrier italien que le couple avait hébergé quelques temps. En effet, rien de plus normal dans cette décision, Léonie en ayant sûrement assez de servir de punching-ball à son irascible mari. Ce dernier va même confirmer cette échappée adultérine en effectuant une déclaration au juge de paix de la ville. Seulement voilà, le 8 avril 1882, le propriétaire de la maison décide de construire un mur autour de la cour attenante à la maison de François. C’est en creusant les fondations, qu’au milieu de la terre et de la caillasse, les ouvriers découvrent des ossements.

La Petite Presse du 9 juillet 1882 – Gallica

Évidemment, François qui assiste aux travaux sent que ce n’est pas bon pour lui. Il avait bien essayé au moment où les ouvriers avaient commencé à creuser de leur faire restreindre la zone de terrassement mais sans y parvenir. Le plan A n’ayant pas fonctionné, il passe alors au B. François est charretier, un métier qui consiste à transporter toute sorte de choses à l’aide de chevaux et d’une charrette. De ce fait et comme il était sur place, il avait été engagé pour transporter la terre et les gravats enlevés lors des travaux. Il en profite alors pour charger en même temps les ossements afin de s’en débarrasser à différents endroits. Toutefois, les ouvriers ont vu son manège et récupèrent alors les os éparpillés, tandis qu’une personne prévenait le juge de paix. Celui-ci fait arrêter François séance tenante mais le libère rapidement, ne pouvant peut-être pas prouver son implication dans l’affaire. Ce n’est que partie remise, car on a bien sûr repensé au soi-disant départ de Léonie avec son amant et le lien est vite fait. Le lendemain, il n’est donc plus question de la présomption d’innocence et le charretier est définitivement arrêté puis conduit à la prison de Fontainebleau 2 jours après.

Extrait du registre d’écrou de la prison de Fontainebleau pour les prévenus 1881-1883 – Archives départementales de Seine-et-Marne

François a beau nier les faits et clamer son innocence, le squelette a été reconstitué et ne laisse aucun doute sur l’identité de son propriétaire. En effet, il reste des cheveux et un ruban qui sont attribués sans équivoque à Léonie. L’affaire est donc claire, François sera jugé pour meurtre et le procès est prévu pour juillet. Si ce dernier, avant la découverte du corps de sa femme, n’avait visiblement pas besoin de somnifères pour faire ses nuits, c’est maintenant une autre histoire depuis qu’il est sous les barreaux. La pression est telle que le 30 juin, François se suicide en se pendant dans sa cellule. Un entrefilet, paru dans «La Feuille de Provins» du 8 juillet 1882, fait remarquer que son suicide permet de faire diminuer le nombre d’affaires à traiter par les assises de Seine-et-Marne…

La Feuille de Provins du 8 juillet 1882 – Gallica

Environ 150 ans après ces faits, on est en droit de penser ou de croire que notre société a évolué concernant le comportement des hommes envers les femmes. Bien sûr que non, au vu des mouvements qui sont apparus ces dernières années et mettant encore plus en lumière ce que subissent des femmes dans leur quotidien. En 2023, le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes publie un rapport indiquant que près de 25% des hommes de 25 à 34 ans estiment qu’il faut être violent pour se faire respecter. La même année, 1 185 femmes ont été victimes de (tentatives de) féminicides au sein du couple, directs ou indirects. Au 21 octobre 2025, on dénombre 131 féminicides depuis le début de l’année. Malheureusement, il y a toujours des émules de François…


Sources & Crédits
Archives départementales de Seine-et-Marne – Table des naissances, mariages, décès de Saint-Pierre-les-Nemours 1873-1882
Archives départementales de Seine-et-Marne – Recensement de 1881 Nemours
Gallica – Le Journal de Seine-et-Marne du 9 juillet 1882
Gallica – La Petite Presse du 9 juillet 1882
Archives départementales de Seine-et-Marne – Prévenu : registre d’écrou 3898W10
Gallica – La Feuille de Provins du 8 juillet 1882
Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes – Rapport 2023 sur l’état du sexisme en France
Arrêtons les violences – Les chiffres de référence sur les violences faites aux femmes
Nous toutes – Comprendre les chiffres

6 commentaires

  1. Les féminicides ont malheureusement toujours existé, même si le terme est récent. Quelle abomination !
    Et oui, ça fait penser à la condamnation récente que tu évoques. Et combien de femmes n’ont jamais été retrouvées…

  2. C’est vrai que ce billet colle à l’actualité ! Faut il établir une relation avec le fait que Francois a grandi seul garçon entouré de pas moins de quatre filles ? C’était ma minute psychologie de comptoir 😅

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